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Histoires de Q
27 août 2007

Les survivants ( parties 1 et 2)


Une nouvelle en 9 chapitres de Vivien. (Je mets en ligne aujourd'hui les chapitres 1 à 4, 4 à 8 demain ou après-demain) et 9 le jour suivant.... Et oui, il faut bien faire durer le suspense...

Je vous  recommande très chaudement cette lecture de grande qualité


La neige tombait.

La neige, au mois d’avril, est un contresens. On attend du soleil dans les cieux, des oiseaux dans les branches, des papillons dans les fleurs. Au lieu du soleil une brouée blafarde, au lieu des oiseaux aucun oiseau, à la place des papillons un ballet traître de flocons silencieux. Ce qui devait se parer de mille couleurs se couvre d’un linceul, ce qui devait être joyeux est chagrin, ce qui devait égayer diffuse la tristesse de l'uniformité.

Il faisait froid. Les deux adolescents étaient transis. Leurs vieilles couvertures rongées des mites les protégeaient à peine. Afin de donner le moins possible de prise au vent, ils s’étaient recroquevillés accroupis à un endroit protégé de la cabane où l’aigre bise du dehors entrait moins librement. Cela ne les empêchait pas d’avoir les pieds glacés.

A un moment, l’un d’eux dit :

Il faudrait faire du feu.

L’autre ne répondit pas tout de suite. Il finit par murmurer sur un ton résigné :

On n’a pas de bois.

Il n’y a qu’à aller en chercher.

Où çà ?

Je sais pas, moi, dans la montagne.

Y a de la neige partout.

Quand la neige sera fondue.

Elle va pas fondre.

Sûr qu’elle va fondre, on n’est plus en hiver.

Maintenant, ça va être l’hiver tout le temps.

Cette dernière réflexion, involontairement à effet, avait plongé le premier interlocuteur dans une rêverie accablée. Il enfouit sa tête entre ses genoux et poussa un soupir de découragement. Son compagnon reprit :

Qu’est-ce qu’on va manger aujourd’hui ?

Il reste les conserves qu’on a trouvées.

Juste une boîte.

On se la partagera.

Et après ?

Après ?... On mourra de faim.

Celui qui avait parlé en dernier se glissa jusqu’à une espèce de meuble dépareillé, fourgonna à l’intérieur et en ressortit un objet métallique. L’objet était une boîte de sardines. Il posa la boîte sur un caisson, la décacheta non sans peine et grommela :

Tu viens bouffer ?

Son camarade se traîna en face de lui.

Y a six sardines, fit l'initiateur du dîner, ça fait trois pour chacun.

Y en a des grosses et des moins grosses.

T’a qu’à prendre les grosses, moi ça m’écoeure… Ça fait une semaine qu’on bouffe rien d’autre.

Moi aussi, ça m’écoeure, mais faut bien se nourrir.

Les deux garçons mangèrent. Ils n’avaient ni fourchettes ni couteaux. L’huile leur lubrifiait les doigts. Quand ils eurent terminé, chacun reprit sa posture dos à la cloison, celui-ci contre la façade, celui-là contre le pignon.

C'est dégueulasse, fit l'un d'eux, on pue le poisson.

On pue tout court, répondit l'autre, on s'est jamais lavé depuis le jour où…

Un ange passa. Le même qui s'était plaint du manque d'hygiène enchaîna avec une certaine agressivité contenue :

J’ai soif, bordel !

On a de la flotte de neige fondue.

L’instant d’après ils buvaient de la seule boisson dont ils disposaient, heureusement en quantité. Puis ils se rassirent et s'emmitouflèrent à nouveau dans leurs couvertures.

Le silence s’établit. Les veillées oisives et forcées enracinent ces mutismes-là. Au bout de quelques minutes, cependant, l’un d’eux déclara, d’une voix lasse :

J’aimerais bien une clope…

On a fumé la dernière hier.

Je sais.

Nouveau silence, interrompu par une remarque sans rapport avec le dialogue précédent :

Faut faire quelque chose.

Quoi ?

Je sais pas, se barrer d’ici.

Pour aller où ?

Là où y a quelqu’un.

Y a plus personne nulle part.

Comment tu le sais ?

J’en sais rien.

Alors, ça se pourrait quand même que des gens existent encore.

Ça se pourrait, mais j'y crois pas.

On devrait essayer.

Avant, il faut trouver à béqueter.

Dans la maison, là-haut, peut-être que…

On ira dès que la neige aura disparu.

Si elle disparaît…

Mais avant, faudra trouver du bois.

On a un poêle, c’est déjà une chance.

Un poêle sans bois, ça sert à rien.

La nuit étendait son voile sinistre sur la pauvre masure dans laquelle croupissaient les deux êtres. Bientôt, elle ensevelit tout et ne laissa plus des silhouettes qui étaient là que des ombres indistinctes.

Les ombres s’endormirent.

 

 

 

II.

 

 

 

 

Servan s’éveilla le premier.

La faim lui martyrisait l’estomac.

Il promena le regard autour de lui, avisa d'un œil maussade la cabane avec ses cloisons de bois noircies par l’humidité, les vieilles casseroles étamées et rouillées qui pendaient à des attaches branlantes, la poussière sur le plancher rudimentaire de lattes mal jointoyées, le plafond bas, le poêle vétuste qui trônait au milieu de l’unique pièce, les chaises éculées qui gisaient dans un coin, et l’amas d’objets sordides qui prenaient la poussière dans un autre. Il vit tout cela et se dit : on va crever ici.

Tout à coup, ses prunelles obliquèrent sur son compagnon. Une idée hideuse entra en lui. Il songea que s’il tuait Jason, il pourrait s’alimenter pendant de longues semaines, que sa subsistance serait assurée, qu’il n’aurait plus faim au coucher et au réveil comme cela durait depuis presque dix jours, et que pour sacrifier un être humain, la loi de la nature était peut-être cruelle, mais elle désignait ses victimes et ses graciés, et que de toute façon cela valait mieux que d’en sacrifier deux.

A peine cette pensée l’avait-elle absorbé qu’il en mesura l'étendue et la repoussa. Il baissa les yeux et se jugea monstrueux.

Sa bouche était sèche, une lancinante fatigue engourdissait ses muscles. Pourtant, il avait dormi dix heures d’affilée. Mais le manque de nourriture, le froid, l'inaction l’avaient affaibli. Son esprit dériva de nouveau sur Jason. Il se remontra que ce compagnon de misère souffrait tout comme lui, qu’il était injuste de se faire une appropriation égoïste des maux qu’on éprouvait, qu’il aurait pu se retrouver seul, que c’était tout de même bien mieux d’être à deux, de se réconforter et de se soutenir l’un l’autre, et qu’avec du cran et de la décision il n’était pas impossible de surnager à l'adversité, pourvu qu’on refusât de capituler.

Ce tronçon de phrase, qu'on refusât de capituler, l’arma d’un courage tout neuf. Il réveilla son camarade.

Celui-ci battit des paupières, voulut se rendormir, mais Servan le secoua :

 Allez, lève-toi, on va voir à la maison de l'autre jour.

Il ajouta, histoire d'emporter la décision :

 Si on fait rien, on claquera comme des pauvres cons.

L’autre émit une sorte de feulement, s’étira, considéra quelques instants son vis-à-vis, rejeta sa couverture et, sans avoir prononcé une parole, se disposa au départ.

La faim était si atroce qu’elle avait forgé en eux une indomptable volonté de tout tenter pour marauder n'importe quel aliment n'importe où et à n'importe quel prix.

Ils sortirent. Le froid était un peu moins vif et il ne neigeait plus.

 Ça va, fit Jason, c'est pas grand’chose, juste deux centimètres.

Leur projet, dont ils avaient si souvent débattu sans avoir le coeur à l’accomplir plus tôt, visait un chalet de villégiature qui appartenait à des touristes, à une demi-douzaine de kilomètres de là, et qui était situé sur un tertre, tout près de l'entrée de la forêt. Avec un peu de chance, il pouvait contenir quelques victuailles. Ce qui les tracassait, c'est qu'on ignorait s'il était occupé au moment des événements. Dans l'affirmative, comme il y avait lieu de le penser, la catastrophe étant survenue au tout début des fêtes de Pâques, alors les chances augmentaient que ses locataires eussent fait le plein de vivres. A cette question, déjà angoissante, s'en reliait une autre, celle de sa résistance à la dévastation Tout ou à peu près ayant été soufflé sur une superficie impossible à mesurer, elle n'était peut-être plus qu'un amas de décombres. Dans ce cas, la situation s’aggravait et ils n’auraient plus la force de mener à bien une nouvelle expédition, forcément plus lointaine.

Pour affronter la fraîcheur de l’aube, ils s’étaient couverts d’une toile de prélart dénichée dans la cabane. Vêtement rigide et incommode, mais qui les sauvait d’aller presque nus dans leurs hardes d’origine. Ces hardes, du reste, ne tenaient plus qu’à un fil : pantalons troués, chemises usées, pulls en lambeaux. Restaient les chaussures, qui avaient un peu mieux résisté. Servan chaussait même plutôt confortablement. Pour Jason, il avait rembourré les siennes de paille.

Servan connaissait la région mieux que quiconque, y étant né. Il n'eut aucun mal à attraper la bonne piste. Jason le suivait. A les voir marcher de cette allure à la fois lourde et empressée qui plie l'échine et va par bonds et par sauts en s'appuyant sur des bâtons, on eût dit deux hommes de la préhistoire en chasse. La chasse, c'était bien là leur but ; quant à leur apparence d'hommes des cavernes, ils la reproduisaient avec un mimétisme involontaire qui aurait pu être comique, et qui était effrayant.

A l'issue d'une heure de pénible progression parmi une succession de collines et de ravines, Servan fit halte, désigna du bras un point obscur à l'orée d'une futaie, et déclara :

 C'est là.

Pour avoir prononcé ces paroles prometteuses, il n'en demeurait pas moins immobile, le front soucieux, l'œil dubitatif, sa figure exprimant cette inquiétude qui procède d'un pronostic sombre.

C'était là, en effet. Seulement, de maison, plus la moindre trace. Servan se rappelait qu'avant le cataclysme, on distinguait nettement ce petit bungalow sur le fond de sapins et de hêtres qui le bordaient.

 Je ne vois rien, fit Jason.

 Elle est détruite, répondit Servan.

Il y a dans le coeur de tout homme un compartiment secret pour l'espérance, même celle qui a dévidé tout son fil. Cette quenouille-là paraît inépuisable. Notre espèce est ainsi constituée qu'elle s'accroche au moindre rayon susceptible de culbuter l'adversité. La maison disparue, cela voulait dire : plus d'habitants, certes, mais peut-être, à l'intérieur, des restes de ce qui y avait été entreposé. Autrement dit, des comestibles. C'est pourquoi Servan se hâta. Jason le talonnait aussi vite qu'il lui était possible. Il n'était pas peu effaré que ce compagnon de hasard fût capable de prodiguer l'énergie nécessaire à renouveler son souffle, quand il aurait dû l'avoir épuisé depuis longtemps.

Ils parvinrent bientôt à ce qui avait été une habitation et qui n'était plus qu'un moignon informe. Les pierres, pulvérisées comme après une explosion, échafaudaient un amoncellement sur lequel pendaient çà et là de lugubres filandres de neige. Du reste, l'écroulement avait fait bonne mesure : pas une fissure parmi cet éboulis de moellons qui mêlaient en un indescriptible chaos des restes de murs, de cloisons et de toit. Impossible d'imaginer dans ce capharnaüm le moindre passage praticable, même à un ouistiti.

 C'est foutu, dit Jason.

 Pas sûr, objecta Servan.

Ayant dit cela, il se mit à dégager les pierres. Jason le regardait, incrédule. Au bout de quelques minutes, néanmoins, contaminé par l'exemple, à moins qu'il n'eût un peu honte de répondre à tant de détermination par de la passivité, il le seconda.

Leur besogne était titanesque. La tête leur tournait, leurs forces labiles ne leur permettaient que de malingres efforts, mais ils s'obstinaient, dégoulinant de transpiration, la gorge sèche, opiniâtres, frénétiques, héroïques. Ils remuaient les gravats, déplaçaient des pans entiers de la ruine, éperonnés par une unique obsession, galvanisés par une indomptable bravoure.

Pendant deux heures, ils s'acharnèrent. Quant on a l'estomac vide, l'acharnement montre bientôt la corde, c'est-à-dire ses limites. La lassitude eut raison de leur volonté, ils durent cesser. Servan, haletant, les cheveux collés en filasses rigides sur son front, dit :

 On se repose un peu …

Jason ne répliqua rien. Il était plus pâle qu'un linceul ; il s'adossa à un semis de bruyères brûlées par le gel et murmura :

 Je peux plus continuer, j'ai trop mal.

 Moi aussi, j'ai mal, dit Servan. Mais si on repart avec rien dans les poches, on aura encore plus mal…

Ce dernier s'était accroupi sur les gravats et tâchait de repérer une fente, une ouverture, la brèche la plus ténue par où il lui aurait été loisible d'affiner sa fouille. Mais il eut beau scruter, le monticule n'offrait pas le moindre hiatus. Alors il baissa les bras.

 Y a rien à faire, fit-t-il, on est marron…

Comme il s'asseyait sur une poutre à demi calcinée, celle-ci céda sous son poids, un tout un pan de la ruine sembla se désolidariser, il se sentit happé de l'intérieur.


Auteur:  Vivien Sauvenergues

L'auteur autorise la reproduction des ses écrits à la condition formelle de citer son nom  et de ne modifier le texte en rien.

Vivien Sauvenergues  invite ses lecteurs à lui faire part de leurs réactions. Ecrivez-lui à :
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et n'oubliez pas qu'un petit mot fait toujours plaisir...


 

 

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